ÉTHIQUE-ESTHÉTIQUE

JAN
26
2017

UNE HEURE Nouvelle

UNE HEURE
Nouvelle
Guidu Antonietti

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C’était une froide et grise journée d’hier. Il n’avait pas envie de marcher le long du trottoir qui bordait l’immeuble où il habitait. Le trottoir d’en face offrait une vue sur le canal. Il eut envie de traverser. Il s’approche de la chaussée et essaya. Sur ce boulevard, les voitures roulaient à vive allure. Elles l’empêchaient d’atteindre les bords du canal. Il dut renoncer. L’idée qu’il ne pouvait traverser librement la rue à l’endroit de son choix l’agaçait.
Il se dirigea vers un passage clouté situé à quelques mètres seulement de la porte d’entrée de son immeuble. Le feu qui réglait la circulation était vert, les autos circulaient très rapidement en files continues. Le feu passa au rouge. Il n’attendit pas que le signal indiquant le passage libre pour les piétons ne se déclenche. Il traversa. Là, debout devant lui, il vit une jeune femme qui devait avoir une trentaine d’années. Elle était très belle. Des yeux verts illuminaient son visage. Il n’avait rien de bien particulier. Toute la force qui s’en dégageait était seulement due à un regard intense et très doux à la fois. C’était la première fois qu’il rencontrait un regard vert clair qui possédait une telle douceur.
« Bonjour », lui dit-elle.
Sur le moment, il ne comprit pas pourquoi elle lui adressait la parole. Il était persuadé de ne point la connaître. Elle lui adressait un bonjour affectueux. Il faisait déjà nuit.
« Bonsoir », répondit-il avec, dans la voix, des accents de désespoir.
« Je suis passée ici il y a environ une heure et je t’ai vu là, assis sur la berge. Sur le moment, je n’ai pas fait attention à toi. Mais en revenant, tu étais encore là. Tu n’avais pas bougé de place. Cela ne te dérange pas, j’espère ? »
« Non », répondit-il gêné. Cette présence l’ennuyait. Il se sentait un peu trop vulnérable. Elle affirmait l’avoir déjà vu à la même place une heure plus tôt. La jeune femme s’assit en face de lui. Elle avait mis ses jambes en tailleurs, ses coudes étaient posés sur ses genoux. Son visage encadré par ses deux mains ouvertes plaquées contre ses joues rayonnait de gentillesse.
« Qu’est-ce que tu fais, assis là sur le quai ? Il faut que tu te décides à faire quelque chose ! Tu ne peux pas rester comme ça indéfiniment… »
Comme il ne l’écoutait pas, elle s’arrêta de parler, en le regardant fixement. Elle souriait.
Combien de temps a pu durer ce silence ? Derrière elle, le paysage était complètement mat. La nuit avait dû tomber pendant cette longue heure d’absence. Il distinguait au loin des lueurs des lampadaires se reflétant dans les eaux troubles du canal. Les remous de l’écluse rythmaient le bruit du moteur de la péniche famélique qui s’enfonçait dans le noir à quelques dizaines de mètres. Ce mélange de sons produisait un grondement continu comme s’il y avait eu une cascade derrière les arbres qui se rapprochaient de plus en plus pour se confondre à la hauteur de la cabine de l’éclusier. Sur la gauche, il ne parvenait à voir qu’une partie seulement de l’avenue : le visage et la chevelure de la jeune fille obstruaient presque entièrement son champ de vision. Les façades des maisons et les lanternes des autos se déplaçant avec une lenteur désagréable, entouraient la figure féminine qui était devant lui. Ce visage paraissait complètement plat, sans la moindre courbe de relief. C’était une feuille de carton peinte en noir, dont il ne distinguait que le contour régulier. Il entendait en fond sonore les propos litaniques de la jeune femme. Il était totalement incapable d’accorder la moindre signification à ce qu’il entendait.
De temps en temps, mais avec un rythme régulier, des coups d’avertisseurs sonores et de sirènes le faisaient sursauter. Alors, son regard se portait sur le visage féminin. Tout ce qu’il avait vu précédemment en arrière-plan devenait trouble. Il ne distinguait plus dans le lointain que des lueurs floues qui se superposaient, chacune d’elles avait exactement la même intensité et presque la même couleur jaune électrique.
Comme visiblement, il ne manifestait aucun intérêt aux paroles que prononçait la jeune apparition, elle s’arrêta de parler. Le silence qui s’était installé entre eux devenait de plus en plus insupportable, il se décida à parler.
« Écoute, dit-il, je ne comprends pas ce qu’il m’arrive ! Quelle heure il est ? »
Comment cela se faisait-il qu’il soit assis au bord du canal, et qu’il n’ait pas changé de place une heure durant. Il était complètement anéanti à l’idée que pendant toute une heure rien ne s’était passé ; il n’avait rien fait ; rien ressenti. Une heure de sa vie lui avait donc complètement échappé.
Depuis quelques semaines déjà cela arrivait de plus en plus fréquemment…
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About the Author
Guidu Antonietti di Cinarca Architecte DPLG, né en 1950 à Ajaccio, Président d'Archipel Architectes Associés : _________________ " Servir l’humain plutôt que le profit ! "