ÉTHIQUE-ESTHÉTIQUE

OCT
08
2013

METROPOLIS

FRITZ LANG BABEL

Métropolis de Fritz Lang 1927

 LE MYTHE DE L’ ARCHITECTE DANS LE SEPTIÈME ART

Du très célèbre Désert de Retz, Yves Bonnefois disait que _ces lieux de culte sans rite ne forment au total qu’un seul grand sanctuaire de cette mélancolie qui aurait été l’âme_. C’est cette tâche-là que s’assigne l’Architecte, le vrai. Et quand il s’y essaye il peut s’y brûler les ailes… Pour quelques cinéastes éclairés, ce prêtre susceptible de dire la liturgie arrêtée par Imhotep et pervertie dans notre cyberplanète est objet de mythe. Dans notre monde désormais profane depuis les Lumières, l’Architecture demeure encore sacrée, en ce sens qu’elle a pour objet la transcendance et l’imaginaire du lieu. Vocation particulière parfois décalée de son époque, la pratique architecturale ne laisse pas indifférents les cinéastes, bien au contraire elle leur pose questions. Du temps de la défunte IDHEC (Institut Des Hautes Études Cinématographiques) le diplôme d’Architecte ne dispensait-il pas du concours d’entrée ? Récemment le Musée des Monuments Français présentait un cycle de projection qui avait justement pour objet de signifier ce mythe de l’Architecte au Cinéma.

Marcel Lherbier, cinéaste des années vingt confiait pour L‘Inhumaine et le Vertige la réalisation de ses décors à Robert Mallet-Stevens car il était convaincu que la mise en pellicule d’une action en un temps donné avait à voir avec la mise en espace dans les trois dimensions.

Mallet-Stevens devenant ainsi metteur en espace d’un art nouveau, le cinématographe notait alors que l’Architecture Moderne ne sert pas seulement le décor cinématographique mais marque son empreinte sur la mise en scène, elle déborde son cadre… Dans un avenir proche, l’Architecte sera le collaborateur indispensable au réalisateur. Quelques soixante années plus tard, Wim Wenders permettra enfin à Jean Nouvel de réaliser sa Tour sans fin. Ainsi, comme le souhaitait Mallet-Stevens, le cinéaste et l’Architecte ne devraient-il pas cheminer ensemble ?

Entretenir des rapports cordiaux plutôt qu’ambigus, parfois rivaux ? Compagnons de route, ces deux complices de l’espace et du temps, au cinéma pourtant se rencontrent rarement. Alors que le prêtre, l’avocat, le médecin, le juge, le flic ou le voyou ont été largement incarnés à l’écran, l’Architecte, le Créateur est une figure éludée dans la mythologie du septième Art. Pour le grand public, cette posture-là mériterait bien une célébration. Pour les Architectes eux-mêmes probablement pas. Il est vrai que des années vingt aux années quatre vingt, les prérogatives sociales et culturelles des spécialistes de l’Art de construire à quelques exceptions prés n’ont cessé de décliner. Dans quelle école aujourd’hui enseigne-t-on encore aux futurs Architectes qu’ils sont aussi Artistes susceptibles de signer la mythologie de leur temps ? Depuis 1968, l’École Nationale des Beaux-arts a volé en éclats, et les Architectes secrètement s’acceptent comme modeste partenaire de l’Ingénierie Française.

Le Corbusier n’affirmait-il pas  » J’estime que celui qui ne se sent pas la grâce n’a pas le droit de devenir Architecte » ? Ce rendez-vous manqué a certainement de nombreuses raisons, mais la plus fondamentale réside sans doute dans la dimension de rivalité que le cinéaste rencontre dans sa pratique. Architecte d’un film, Maître d’œuvre de moyens financiers et humains importants, il incarne à lui seul la totalité créatrice et démiurge que la Renaissance conférait à l’Architecte. Alberti contre Méliès, Brunelleschi contre Renoir. A cet égard, on sait que Fritz Lang était Architecte avant de devenir le metteur en scène que l’on sait, Roberto Rossellini fils d’Architecte précisément, réalisa un film sur Léon Battista Alberti. Michelangelo Antonioni plus prés de nous tourna une critique filmée d’Aix-en-Provence en fustigeant la stupide collection de dispositifs anti-véhicules fait de bites, de quilles, et de boules qu’affectionnent les Services Techniques de cette ville baroque. Il est aussi Architecte. Une autre raison et non des moindres qui consacre cette rencontre avortée s’inscrit aussi dans les données historiques de notre autodestructeur vingtième siècle. A deux reprises, il a du relever ses ruines. Terragni, Adolf Speer, grands plasticiens aux menées totalitaires ? Comment en effet en d’aussi funestes circonstances, trouver d’autres vertus que péjoratives à cette coupable association de démiurges mégalomanes et de desseins capitalistiques, incontestablement responsables de désastres bétonnés sur fond de sarcophage Ukrainien antinucléaire de Tchernobyl.

Ainsi l’Architecte à l’écran est un antihéros de prédilection ; victime expiatoire dans la Fille sur la balançoire de Richard Fleitcher, incarnation du mal dans Inferno de Dario Argento, otage du pouvoir dans le Tombeau Indou de Fritz Lang, tyran totalitaire dans Métropolis, ou vulgaire morbidité esthétisante dans le Ventre de l’Architecte de Peter Greenaway. Seul King Vidor dans le Rebelle trace un portait positif de l’Architecte sous les traits de Gary Cooper. Au cinéma, donc, il n’y a pas de rédemption possible de l’Architecte sauf peut-être chez Greenaway qui retrace l’obscure utopie de Etienne Louis Boullé.

Cette impossible incarnation du mythe de l’Architecte au cinéma parle en fait aujourd’hui de la marginalisation de ce professionnel pourtant incontournable de l’art de bâtir la cité. Elle invoque l’absolue nécessité pour lui de recouvrer une posture. L’imposture de ses rivaux non pas au cinéma mais dans sa pratique sociale, celle de ceux qui le tiennent pour otage, plus que jamais il faut la dénoncer. Et par delà les ravages esthétiques et sociologiques perpétrés au nom de la table rase intellectuelle de la modernité (Le Corbusier) l’Architecture discipline majeure de la société peut encore contribuer à infléchir la condition humaine. Le proclamer ne suffit sans doute pas. Les premières pierres pourtant à l’édifice sont indispensables

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About the Author
Guidu Antonietti di Cinarca Architecte DPLG honoraire, né en 1950 à Ajaccio, Président d'Archipel Architectes Associés :