30 Glorieuses : Modernes, et après ? (1)

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Serait-ce parce que l’état des sociétés développées ne donne pas sa place à la construction que ses Architectes élaborent de paradoxales stratégies d’existence ?
Si construire, c’est donner forme au projet de décrire de façon critique l’époque à défaut de la transformer, les orphelins des trente glorieuses s’y seront essayés ! Leurs noirs costumes d’aujourd’hui, leur désespoir affiché, et leur arrogance, parfois, sont les manifestations du deuil que leur fait porté les manquements du Mouvement Moderne.

Ce rituel débuta en Amérique, quand l’italo-américain Venturi publia “de l’ambiguïté en Architecture”, quand Eiseinman et Meier se disputèrent l’héritage du père fondateur. Puis vint Michael Graves. Il reçut le prix d’Architecture de l’Académie des arts et lettres, non pas pour ses rares édifices, mais pour ses magnifiques aquarelles de bâtiments hiératiques, mauves, bleus, stupéfaits comme l’orage. Simultanément, Christian de Portzamparc, peintre aussi, lui, réalisait les siens. En ce temps-là, notre lauréat américain proférait de brumeuses théories qui parlaient de “lectures multiples inhérentes à un code d’abstraction”.

Dans le même temps, dans l’Europe qui avait vu naître toutes les révolutions des idées, les chantiers s’arrêtèrent. Les Architectes désoeuvrés dressaient quelques maigres études de faisabilité, dessinaient des banlieues pour 89. Ils se souvinrent qu’en produisant de la théorie, on pouvait comme le Corbusier se forger un nom. En monnayant ses propos et quelques dessins, il devenait possible de se faire nommer chargé de cours dans les lieux délabrés de feu l’École des Beaux-Arts. Et l’on assista à l’émergence des iconoclastes du mouvement moderne, tenants de la Tendenza, appelons-les néo-rationalistes critiques. Le Milanais Aldo Rossi, le Catalan Ricardo Boffil, les Luxembourgeois Krier frères, comme leurs homologues d’outre atlantique prônaient que la vraie voie du modernisme finissant, l’incontournable route, était celle d’un retour aux invariants de la discipline. Ils voulaient la replacer en deçà du 18e siècle. Il fallait construire des édifices essentiels, dépourvus des ornements de la bourgeoisie industrielle du 19e siècle. Le capitalisme triomphant avait détourné l’Architecte de sa vocation première : servir l’humain plutôt que le profit ! Le marxisme, justement, leur servi de bannière contradictoire. Ils y inscrivirent que la Renaissance avait construit ses bâtiments comme le reflet d’idéaux chatoyants, le renouveau d’une lutte contre l’obscurité. Ils ne virent pas que ces lieux de pouvoir avaient été commandités par des papes, des ducs, des condottieri, et des despotes bien sombres. Ces artistes, dans leurs propres productions, manifestaient une étrange coloration autoritaire, une raideur un peu ennuyeuse.
En Italie et en Allemagne les premiers rationalistes décadents et peu inspirés avaient plaqué à leur projetation des formes classiques, mais dépourvues de fines décorations. Bien sûr, les constructions de Rossi ou de Krier n’étaient en rien de style fasciste, mais elles étaient austères et généraient de l’inquiétude. On ne dessine pas impunément des idées, surtout quand on les construit !

G.AdC

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