30 Glorieuses : Modernes, et après ? (2)

6a00d8345167db69e20133f510b5e6970b-800wiEn forme de conclusion à toutes ces tentatives Charles Jencks publia en Grande-Bretagne “le langage de l’Architecture post-moderne”. Ce vocable inventé, plus exactement emprunté, au philosophe français Jean-François Lyotard s’imposa désormais comme la façon de désigner les évolutions qui devraient avoir raison de la modernité. Henri Ciriani resta longtemps le seul moderne solitaire, fustigeant le style bicyclette d’un Rogers pseudo néo-moderne . Jencks non sans une certaine finesse nota cependant que le concept avancé et fort séduisant indiquait plus, ce qu’il laissait derrière lui, qu’il ne montrait une voie.

Ainsi quand les Architectes n’œuvrent plus, éloignés de l’industrie du bâtiment, ils agissent et minent les consciences des politiques et de leurs technocrates. Si l’ornement est un crime, empêcher un bon Architecte de construire en est un bien plus grave, cela produit non seulement de la fracture spatiale, mais une catastrophe sociale : les grands ensembles de nos banlieues. Heureusement aujourd’hui, ils sont démodés. André Jollivet et Michel Anselme ont pourtant tout fait pour réparer leur titre de noblesse, et Michel Antonietti en son temps a admiré ceux de Fernand Pouillon !

Désormais seul reste l’indépassable legs du père qu’il faut bien tuer pour devenir adulte ! Et il a fallu presque un siècle pour comprendre qu’une carrière comme celle de le Corbusier était un idéal, c’est-à-dire un point à l’horizon qui sans cesse recule. Car quand les révoltés d’hier rentrent à l’Académie et que les panthéons pétrifient les agitateurs, c’est que le Purisme promulgué par Phidias est une sorte de code génétique inmanipulable. Voilà la considérable contribution de Charles-Edouard Jeanneret au rayonnement de sa discipline. Il est parvenu, grâce à la conscience de la force morale de sa mission, au moyen de plans utopiques manifestes, traités, conférences, dessins, à créer l’idée d’une Ville Radieuse, sans commandes, sans budgets, sans clients, sans chantiers, sans bâtiments. Bref, le Paradis sur la terre. Bravo l’artiste, mais honte au démiurge !

Finalement, si, ne plus construire devenait la condition subie de l’Architecte, il lui faudra de nouveau revêtir le costume qui sied à son rôle tragique de faiseur d’avant-garde, et savoir que dans l’espoir de lendemains radieux, il gâche son talent. Il ne sauvegardera son existence qu’en spéculant sur sa capacité à mettre en perspectives sa vocation : tracer sans complaisance l’autoportrait critique de la société qu’il questionne. En sachant que dans la solitude de l’enfance primitive, toutes les ficelles sont truquées, il est préférable aux enfants rebelles de proclamer leur refus de vieillir plutôt que de se voir vivre en un monde dépeuplé. Quand l’immensité devient vide, elle se referme comme un livre de contes. Le mouvement moderne était du 20e siècle, désormais le champ est libre…

G.AdC , Aix-en-Provence le 24 mai 2000, ( troisième anniversaire de la disparition de Michel Antonietti )

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