Malinconia Corsa 

Angélica, as-tu préparé tes bagages ? Je t’attends, nous partons en voyage !

Au volant de l‘automobile, il a quitté l’aéroport… il longe le bord de la mer par le chemin qu’il suit maintenant jusqu’à une ville très ancienne…la mer est calme, le soleil au-dessus éclaire son azur… il paraît plus limpide encore…ses rayons font tout autour des rochers qui affleurent comme des couronnes de diamants …elles brillent plus vives et plus scintillantes encore que des étoiles.…

Il est au village maintenant… sur un monticule…dans son village… dans une grande vallée…elle est dominée de tous les côtés par des montagnes qui l’entourent comme un entonnoir…

Il a éteint son flambeau… il fait jour…Il se lève et regarde la campagne…il voit les chèvres marcher dans les sentiers du maquis et sur les collines …ça et là il y a des feux de bergers… il entend leurs chants… ils raisonnent parmi les plus hautes montagnes de l’île… sur un promontoire il voit en dessous  toutes les vallées et toutes les montagnes qui s’abaissent en descendant vers la mer.. les ondulations des coteaux ont des couleurs diversement nuancées suivant qu’ils sont couverts de maquis, de châtaigniers, de pins, de chênes-lièges ou de prairies…en face dans l’horizon, s’étend l’infini…cet insondable comme ce qu’il sait sur elle est méditerranéen…

Devant un pareil spectacle, il reste ainsi des heures sans se déplacer…et regarde ébahi la grande ligne blanche qui s’étend dans le lointain… Il a envie de pleurer, car c’est bien devant cette mer-là…quand, avec tout son azur, elle, surgit au soleil entre les fentes de rochers rouges…et que le cœur alors en une immense envolée coure sur la cime de ces flots si doux…vers ces rivages aimés, où les poètes antiques ont placé toutes les beautés…dans ce pays débonnaire où l’écume, un matin, apporta dans une coquille la Vénus endormie…

Plus tard …bien plus tard…par un temps superbe… par une mer calme, il quitte l’île…son île si belle lui dit un dernier adieu… Le voici réinstallé devant son écran…loin d’elle auprès de souvenirs qui brûlent… voilà qu’il recommence sa vie…elle est imaginaire… sur les touches de son ordinateur il se demande ce qu’ont donc les voyages de si attrayant pour qu’on les regrette à peine achevés .

Il sait qu’il rêvera longtemps encore des forêts de pins…des châtaigneraies humides…de la Méditerranée si bleue, si limpide, si éclairée de soleil… car c’est avec elle qu’il lui faudra bien un jour s‘y rendre pour qu’elle sache enfin la tristesse de son peuple et la beauté des sentiments simples des siens … …

Il sait bien qu’un hiver prochain, quand la neige recouvrira les toits et que le vent sifflera dans les serrures…leurs âmes erreront dans les maquis de myrtes, le long de golfes si purs où la lune en baignant son corps de sirène comme un appel éperdu leur dira la nécessité des retrouvailles…la fin du manque pour toujours…

Dans son grenier comme en un sablier, lui, s’enfonce un peu plus profondément chaque jour… Usant ainsi sa vie contre des parois abruptes… collé à sa respiration…, mêlé à son souffle vital… Ce flot ignore l‘indifférence et le transporte vers elle … Petits grains de vie jetés sur la marelle du temps entre le ciel d’Italie et la terre lointaine de son île…

Dans le dédale des saisons, elle, s’égare indécise… accrochée au balancier des secondes… à la clé du temps…essayant vainement de réfréner le rythme de ses notes… mutation éternelle d’un petit grain de sable…fine vie de l’île ensoleillée… dangereuse existence des sables mouvants… émouvante copulation née de l’effritement de deux êtres, leurs vies roulent vers un semblant d’éternité…

Baci

Guidu

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J’ai envoyé ce texte à Martin , mon fils 

Il m’a répondu :

Coucou,

Je n’avais jamais eu le temps de lire. Merci pour ce beau texte.

Tu dois écrire quelque chose pour nous, pour qu’on n’oublie jamais d’où on vient et qu’on sache ce que nos anciens ont traversé comme épreuves. On en est là grâce à eux, grâce à vous.

Il y a des jours ou la seule chose qui me fait dire que je suis corse, c’est notre nom. Je sais que ce n’est pas seulement ça, tu as bien fait ton travail. Mais il me faut plus pour ne pas perdre nos racines. Qu’est-ce que raconterais à la nouvelle génération ?

J’ai peur d’oublier le peu que je sais.

Bise

Martin