La fonction du filtre bleu
– Jacques Monory a dit que la fonction du filtre bleu interposé entre l’œil et le sujet de ses toiles, était de le protéger contre l’horreur mythologique représentée, tout en laissant intact le plaisir qu’elle éveille. Et certes, on mesure aisément ce que pourrait être le mythe incarné, si l’on considère la plaie ouverte de l’Histoire, son simulacre. Jean-Pierre Melville a suivi les recommandations du peintre : Un Flic est visuellement un monochrome de bleu. Il a planté sa caméra au fond de l’eau, en bordure d’une cité engloutie, vestiges étrangement intouchés, mais dévitalisés. Intenses remous, traversés d’une pluie intérieure. La goutte noire d’une Plymouth 60/70 ruisselle sur l’unique chaussée, puis fait flaque contre le trottoir. S’en détache une silhouette bien connue : chapeau mou, imperméable et mort dans l’âme. Fluente, éparse, elle se dirige vers un point de vive lumière granitée : le doré envasé de cette Atlantide.- « Un Flic » de Jean-Pierre Melville / Jacques Jean Sicard