HÔpital

Il flotte une odeur de désinfectant de tristesse
et d’espoir meurtri
des voix s’élèvent dans les couloirs sans briser le silence
un tunnel de lumière blafarde aspire celui qui est couché
sur le lit aux montants métalliques

Une parenthèse s’est ouverte dans la vie ordinaire
dont on ne sait quand elle se refermera
si elle se refermera

L’esprit flotte au-dessus du corps 
la goutte qui tombe dans les veines scande
un temps de passivité et d’attente
un temps inhumain

Et puis il y a la nuit
la pensée s’affole
tourne et retourne sur une même note d’angoisse
des lumières tremblent au loin derrière la vitre sale
des phares traversent un espace auquel on n’a pas droit
auquel on s’interdit superstitieusement de penser qu’on aura droit à nouveau
parce qu’on est nu
qu’on a déposé les armes du maquillage
et du vêtement de ville
parce qu’on se confond avec un numéro de chambre ou le nom d’une maladie

Et puis il y a la nuit fangeuse à traverser et l’on atteint épuisé la rive
bruits de chariots
odeur de café insipide
ersatz de vie

Ni les êtres qui lui sont le plus chers
ni les projets auxquels il croyait tenir ne rattachent le malade au monde
Il dérive au rythme lent du liquide qui s’écoule dans les tuyaux 
Demain ne sera plus jamais un autre jour mais le même encore moins lumineux et plus vacillant

Et soudain elle pense au bain matinal l’été quand les tourterelles roucoulent dans les pins
et que les mouettes tournent en piaillant au-dessus du bateau de pêche qui rentre au port
elle pense à la chaleur des galets aux cris des enfants qui s’éclaboussent
au goût de sel sur la peau
et demain lui paraît lointain mais autre et elle sent le fil qui la rattache au monde.

Joëlle Gardes   nous a quittée le 11 septembre 2017 , cette page veut lui rendre hommage 

D.R. Texte inédit / Joëlle Gardes/Terres de femmes