Via delle Botteghe Oscure

 

Rien qu’une silhouette claire, ce soir-là, à la terrasse d’un café. J’attendais que la pluie s’arrêtât, une averse qui avait commencé de tomber au moment où Hutte me quittait.
Quelques heures auparavant, nous nous étions retrouvés pour la dernière fois dans les locaux de l’Agence. Hutte se tenait derrière le bureau massif, comme d’habitude, mais gardait son manteau, de sorte qu’on avait vraiment l’impression d’un départ. J’étais assis en face de lui, sur le fauteuil en cuir réservé aux clients. La lampe d’opaline répandait une lumière vive qui m’éblouissait.
– Eh bien voilà, Guy… C’est fini…, a dit Hutte dans un soupir.
Un dossier traînait sur le bureau. Peut-être celui du petit homme brun au regard effaré et au visage bouffi, qui nous avait chargés de suivre sa femme. L’après-midi, elle allait rejoindre un autre petit homme brun au visage bouffi, dans un hôtel meublé de la rue Vital, voisine de l’avenue Paul-Doumer.

Patrick Modiano / Rue des boutiques obscures

La rue des boutiques obscures à Rome