Saint Michel de Murato / Mérimée

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C’est la plus élégante, la plus jolie église que j’aie vue en Corse. Elle est située à un quart de lieue du bourg de Murato, sur un petit plateau et complètement isolée; cependant elle sert au culte, mais, je crois, seulement dans quelques occasions solennelles. La nature des roches qu’on trouve dans le voisinage a permis aux architectes d’imiter, plus exactement qu’à l’ordinaire, le style des Pisans, surtout pour l’ornementation. Nous verrons comment il s’est modifié en passant des plaines de la Toscane dans les sauvages montagnes de la Corse.
Le plan de Saint-Michel figure un parallélogramme rectangle, terminé à l’orient par une apside semi-circulaire, et précédé à l’ouest par un porche surmonté d’une tour carrée que soutiennent deux grosses colonnes trapues, à chapiteaux écrasés. Quelques rudiments de feuilles ornent ces chapiteaux; les volutes sont peu saillantes; une astragale figurant une tresse relie les corbeilles aux fûts. Base élevée, circulaire, ornée d’une grosse torsade.
Sur la façade, trois arcades dont deux latérales aveugles. Point de bas-relief aux tympans, mais des consoles historiées, d’une saillie notable, reçoivent les retombées des archivoltes. Le linteau de la porte principale est couvert d’incrustations. Point de voûtes, si ce n’est au-dessus de l’apside. Fenêtres étroites à l’ordinaire, cintrées; la partie inférieure et supérieure de leurs chambranles est souvent ornée d’entrelacs et de sculptures en très-bas-relief. La corniche est soutenue par une arcature régnant le long des murs latéraux, se prolongeant sur les festons, et entourant l’apside. Plusieurs tympans de ces arcades offrent des sculptures dans le genre de celles que nous avons remarquées à Carbini.
On le voit, à l’exception de son porche, construction tout à fait inusitée dans ce pays et qui, par sa disposition, rappelle en petit l’église de Maurmoutiers, près de Saverne, on retrouve à Saint-Michel tous les caractères que j’ai plusieurs fois signalés. Ce n’est que par son appareil singulier que cette église se distingue véritablement de toutes celles que j’ai déjà décrites. Du plus loin qu’on l’aperçoit, l’œil est attiré et surpris par les couleurs tranchées de son parement, composé de pierres d’un vert foncé et d’un blanc éclatant. Toutes les parois de l’édifice en sont revêtues, aussi bien en dedans qu’en dehors. D’abord on ne peut distinguer aucune combinaison régulière, et l’œil n’est frappé que d’un papillotage bizarre. En s’approchant, on remarque comme une intention d’arrangement dans le but de produire un certain effet par l’opposition des couleurs; effet du reste plus étrange qu’il n’est harmonieux. Il semble que l’on ait prétendu imiter les alternances de couleurs régulièrement opposées du dôme de Pise et d’autres monuments du même pays; mais l’on n’a persisté dans ce projet qu’autant que les matériaux convenables se présentaient sous la main, et l’on y a renoncé dès que l’exécution entraînait trop de soins. Par exemple, les assises ne sont point égales en hauteur, et les pierres qui les composent sont d’échantillons très différents. Dans la partie supérieure des murs, le blanc et le vert se succèdent par bandes horizontales; au-dessous, ces deux couleurs se mêlent comme sur un damier; mais cet arrangement n’existe que par places; bientôt on ne voit que des plaques plus ou moins grandes, jetées pêle-mêle et comme au hasard. A la vérité, les claveaux des arcades aveugles de la façade et les tambours des colonnes du porche alternent de couleur dans un ordre constant; mais les claveaux des arcades figurées sous la corniche n’offrent qu’un mélange incertain et confus. J’ai cru remarquer que l’architecte avait eu meilleure opinion de la résistance de la pierre verte (chlorite schisteuse très-compacte), que de celle de la pierre blanche (calcaire de Saint-Florent), car il emploie la première de préférence dans toutes les parties qui exigent le plus de solidité. Çà et là des dalles de marbre rougeâtre, encastrées dans les murs, viennent ajouter à la bizarrerie de l’ensemble. Enfin, on trouve encore quelques incrustations en briques, toujours fort irrégulières, principalement aux retombées des arcatures latérales.
Si l’on en excepte la tour, dont l’amortissement est détruit (si toutefois elle a été terminée), l’église de Saint-Michel se trouve dans un état de conservation très satisfaisant.

Prosper Mérimée                                                                                                                Notes d’un voyage en Corse Avril 1840 (Extrait)

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