Ribbeddu, «héros redoutable»

JEROME FERRARI

Du Sermon sur la chute de Rome

de Jérôme Ferrari,

Prix Goncourt 2012

Angèle Paoli à écrit :

 [ Quant à « l’âme de la Corse », elle se trouve tout entière lovée dans cette page où violence et beauté se côtoient dans un contraste saisissant. Elle passe par le déroulé de la rêverie de Matthieu, pourtant occupé avec ses compagnons « à se gaver de couilles de porc grillées au feu de bois… ». Le regard du jeune homme s’accroche aux nuages qui filent vers la montagne, glisse vers la « chapelle consacrée à la Vierge », depuis longtemps désertée, livrée à la solitude et aux vents. Il ne reste de ce modeste édifice que des vestiges enfouis sous la rocaille et les chardons. De là, bercé par le ronronnement des voix de Sauveur et de Virgile, la pensée de Matthieu s’égare dans les méandres de la langue corse dont le mystère épouse celui des « grondements du fleuve dont on entendait couler les flots invisibles tout au fond du précipice encaissé qui déchirait la montagne… » ; langue « dont il savait qu’elle était la sienne » même s’il ne la comprenait pas et qui a tracé en lui le sillon d’une « plaie profonde » pareille à celle qui déchire la montagne. Tiré de sa rêverie par Virgile qui extirpe de la pièce où sèchent les fromages une vieille malle remplie de trésors de guerre, Matthieu découvre tout un pan de l’histoire qu’il n’a pas vécue. Défilent alors les fameux pistolets Sten parachutés dans le maquis, la terreur des Italiens, les moteurs des avions, les hauts faits de Ribbeddu, « héros redoutable » de l’Alta Rocca. Après quoi, Virgile s’empare d’un fusil et, assis côte à côte sur un gros rocher en surplomb du ravin, chacun à son tour tire « sur le versant opposé de la montagne », perdu dans la poursuite de l’écho des coups de feu en partie absorbés par la brume. Malgré le froid qui le saisit, malgré la meurtrissure qu’il ressent à l’épaule, le bonheur de Matthieu est englobant et « parfait ».]