Les pierres sauvages 4

   ROMAN-JOURNAL de FERNAND POUILLON, Architecte 

Lorsque pour la première fois j’ai reconnu le site, le terrain, la future abbaye m’apparaissait semblable à ces architectures de Toscane de marbres polis, raffinés, un luxe infini, compliqué. A présent, ce que je trace est lourd, maladroit. Je m’enfonce dans la joie que donnent les volumes simples, les murs rectilignes… Abbaye cistercienne, ingénue, semblable à des centaines d’autres, composée avec le jeu des constructions que j’ai assimilé, qui fait partie de moi. Les difficultés de cette œuvre unique seront donc, comme pour les précédentes, simplicité, humilité. La complexité des pensées de naguère a disparu. Je me promène calmement, sans inquiétude dans ce plan, dans ces coupes. Je longe les façades comme si j’avais toujours habité là. Où sont mes idées abstraites, mon monde de rêves et d’hallucinations ? Alors qu’il est si facile de composer en simple maître d’œuvre d’un ordre sévère, qui n’admettra ni faiblesse, ni mensonge, ni changement dans le programme : église, salle capitulaire, chauffoir, réfectoire, entourant le cloître. Ma journée s’est passée à dessiner comme un brave moine, maçon et maître d’œuvre.

 Fernand Pouillon

 Extrait de -Les Pierres Sauvages -1964

RETOUR