La belle Niçoise

LA BELLE NICOISE

J’aime la plus belle des lumières, chaude, jaune, celle qui apparaît quelquefois l’après-midi sur le mur d’une chambre face au sud. C’est en elle que je voudrais habiter, pendant des jours, des mois, des années. Souple, tiède, vivante, douce, jaune comme la paille, jaune comme la flamme des allumettes, elle entre par la fenêtre ouverte sans que je sache d’où elle vient, de quels sables, de quels champs de maïs ou de blé mur. Elle entre, pareille à une chevelure de femme, elle se met à bouger entre les murs de la chambre, d’un mouvement continu qui emplit de bonheur, d’un seul long mouvement qui se déploie et rebondit sans cesse, la belle lumière chaude, la lumière d’été. Je la sens venir, elle m’enveloppe comme l’air, mais sans rien qui trouble ou attouche, elle regarde chaque parcelle de ma peau, elle me baigne et m’éclaire. Aucune lumière ne sait faire cela comme elle. Elle, elle est venue de tous les points de l’espace, poudre des soleils et des étoiles, parfum des astres. Lumière du tabac et des genêts, lumière du cuir, lumière de la bière, lumière des fleurs, lumière de la peau blonde et claire, elle supporte tout cela avec elle, comme une rivière qui coulerait sur elle-même. On n’entend pas son bruit. C’est à l’intérieur des oreilles qu’elle murmure son chant, c’est à l’intérieur du ventre qu’elle fait tourner sa ronde. Lumière de la paix, et il n’y aura jamais d’autre paix, jamais de bonheur plus grand dans le monde. Les guerres, les crimes, les mensonges, la faim, la soif, la souffrance, tout cela s’efface quand cette lumière emplit l’espace. C’est elle que les hommes veulent voir.

 J.M.G. Le Clézio/ L’Inconnu sur la terre, 1978

Son portrait par mes soins