J’ai descendu des millions d’escaliers

J’ai descendu, en te donnant le bras,
plus d’un million d’escaliers,

et maintenant que tu n’es plus là
c’est le vide à chaque marche.
Même ainsi notre long voyage a été court.
Le mien dure encore,
et je n’ai plus besoin des correspondances,
des réservations, des embûches, des déboires,
de qui croit que la réalité est celle qu’on voit.
J’ai descendu des millions d’escaliers en te donnant le bras,

et non parce que quatre yeux y voient sans doute mieux.

C’est avec toi que je les ai descendus,
sachant que, de nous deux,

les seules vraies pupilles, malgré leur épais voile,
c’étaient les tiennes.

(Ho sceso, dandoti il braccio, 1967)

Eugenio Montale (1896-1981) – Satura (1971)