Commencements

 Notre première expérience, chose remarquable, est celle d’une disparition. Un instant auparavant, nous étions un tout indivisible, tout Être était inséparable de nous ; et voilà que nous avons été projetés dans la naissance, nous sommes devenus un petit fragment de cet Être et devons veiller désormais à ne pas subir d’autres amputations et à nous affirmer vis-à-vis du monde extérieur qui se dresse en face de nous avec une ampleur grandissante, et dans lequel, quittant notre absolue plénitude, nous sommes tombés comme dans un vide – qui nous a tout d’abord dépossédés.
Il semble donc qu’on commence par vivre une chose déjà révolue, par refuser le présent ; le premier « souvenir » […] est à la fois un choc, une déception due à la perte de ce qui n’est plus, et l’élément d’un savoir encore à l’œuvre, d’une certitude que cela devrait exister encore.
Voilà le problème de l’enfance à ses débuts. C’est aussi celui de toute humanité à ses débuts […]

Lou Andreas-Salomé: son portrait par mes soins