Alors la route …

Photo-collage réalisé à partir de photographies du Cap Corse d’ Angèle Paoli 

alors la route, celle des collines puis celle au-delà des collines, et la route ne fut plus celle de ma mémoire, aucun rossignol n’y était pour se souvenir de mon passage, aucune étoile, juste des bruits d’os, aucun vent clément, juste un cri, la route ne cessait de s’allonger, n’avait de cesse de me trahir, de me leurrer, de me heurter à des forêts, des fossés, des grillages, des fleuves gras et gros, des discours gorgés de fer et de fiel, les arbres qui la bordaient n’étaient plus mes arbres, le ciel était le ciel des exclusions, les pas étaient ceux des égarés, des éparpillés de la terre, pas qui ne foulent pas la poussière mais les cendres de l’Histoire, mes mots ? je les serrais fort dans ma tête, veillais à ne pas les laisser derrière moi comme petits cailloux de Petit Poucet, je me repliais dans mes mots, dans les sons de mes mots pour y trouver un peu d’air, et je me demandais si cet automne était le dernier, le dernier du monde, du monde mon monde, et si c’était le dernier, l’heure venait de sonner qui allait écourter mes vœux, signer mon désaveu, amplifier le feu

puis vint la mer, la mer qui n’était pas la terre de mes appels, la mer non pas pour que j’y élise domicile mais afin que je m’y perde, la mer non pas mon étonnement et ma joie mais ma fragilité, ma fragile fragilité, la mer devant moi, autour de moi, devant, derrière, à droite, à gauche, au-dessus, oui, la mer était aussi au-dessus de moi, en moi aussi, entrant par la bouche, les narines, les yeux, les oreilles, chacun des pores de ma peau, par chacune de mes pensées d’alors

la mer et mon reflet brisé par elle, et mon monde morcelé, noyé dans son écume, la mer qui n’était pas pour moi, nulle mer n’est pour celui qui n’a pas de terre ferme

et j’étais une pierre, une pierre qui réclamait la mer pour ses obscurités, une pierre que sollicitait le monde afin que le monde m’oublie

je me suis tenu là, préparant ma mort

Rémi Checchetto